UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

méditations poétiques - Page 2

  • Pensées de l'aube (47)


    Panopticon201.jpg

     

    De ce qui t’est donné. – Ne te plains pas du bruit que font les bruyants, il y a partout une chambre qui attend ton silence comme une musique pure lui offrant toute ta présence entre ses quatre murs de ciel.

     

    Du temps imparti. – Tout ce qui vous manque est en vous, me disait l’homme des bois en juillet 1839, il n’y a qu’un remède à l’amour : aimer davantage, et c’est l’hiver à ce qu’il semble, mais c’est plus que jamais juillet 1839 pour l’homme des bois en toi qui te demande : pourquoi donc l’homme se hâterait-il, comme s’il y avait moins que l’éternité pour accomplir l’action la plus infime ?…

     

    De la fuite en avant. – Rien ne les arrêtera dans leur précipitation, ils sont plus que jamais hors d’eux, libérés de leurs chaînes tout en se croyant partout les maîtres, ils me font pitié les pauvres : moi je ne vis que de deux dollars par jour et c’est ce qu’ils jettent au mendiant qu’ils ne voient même pas, juste pour l’oublier tandis qu’ils traînent leur âme rouillée dans mon paradis...

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (46)

    Thibon3.jpgDe ta jeunesse.- Tout est moche, me dis-tu avec ton intransigeance de dix-huit ans, de ce que vous avez fait de ce monde et de ce siècle ou laissé faire, tout est gâté et souillé, le monde que vous nous laissez est un foutoir, vous avez tout saccagé – alors je te reprends : pardon, petit, ILS ont tout vilipendé, et tu me reprends à ton tour : pardon, NOUS allons tâcher de réparer ce qui peut encore l’être, vieux frère…

    De la forêt. – En voyant ces livres s’entasser autour de vous – vos chers livres, vous constatez que la mort des arbres se fait de plus en plus à leur insu, sans qu’ils aient voix au chapitre, et c’est avec mélancolie et reconnaissance aussi que vous retournez à votre cher Henry David Thoreau, là-bas au fond des bois, loin de ces tas de livres qui n’en sont pas… 

    De l’au-delà. – Tu me dis vieille peau, que tu retourneras bientôt loin des oueds et des bleds et que tu t’en réjouis, et déjà cela me fait regarder ces immensités autrement, avec toi dedans, avec mon père et ma mère et tous les Indiens de la prairie retournés en poussière ou en fougères ondulant comme ta houppelande de marcheur du désert qui t’en vas maugréant sous le vent…

  • Pensées de l’aube (45)

    Barbare.JPG

    Du lieu commun. – On constate que la seule idée d’être comparé à qui que ce soit vous insupporte, rien que le mot fraternité vous fait grimper aux murs, nous lancez-vous avec le dédain de celui qui en sait tellement plus que les autres – ah les autres, quelle calamité grimace votre seul regard d’Unique, parlez-moi d’amour tant qu’à se vautrer dans les clichés ! d’ailleurs le moindre beau geste vous fait ricaner et toute belle personne ne saurait être à vos yeux qu’un faux-semblant…

    De la Béatitude.- Vous chantez l’immaculée innocence de tout ce blanc sans vouloir voir les mésanges aux mangeoires, mais c’est que c’est Gaza et toutes les étripées que les mésanges aux mangeoires, et je ne vous parle pas de l’arrivée du pic noir – là vous pourrez compter les millénaires avant la moindre négociation, et pourtant vous continuez de les alimenter ce matin encore: venez à moi les jolis assassins, heureux vous qui avez faim car vous serez rassasiés…

    De la ville enneigée. – À quinze ans tu te prenais pour Utrillo, cette neige de la ville aux murs tagués de suie et de rouille, cette légende de la Butte à poulbots et poivrots se cuitant avec les trottins du Lapin agile – tout ce lyrisme de pacotille de l’Artiste payant son litron en peignant des croûtes, tout ce rimbaldisme baudelairisant te faisait trouver beau ton vieux quartier décati de province à la Verlaine dont les hauts toits te reviennent ce matin sur le lin blanc de ton nouveau tableau…

    Image: Escaliers du Marché, dessin de Richard Aeschlimann, 1974.

  • Pensées de l'aube (44)

    Panopticon99994.jpg
    De l’amour. – C’est aujourd’hui que tout commence, c’est aujourd’hui qu’on reprend tout à zéro, c’est aujourd’hui qu’on efface cet affreux tableau à l’éponge d’eau claire, je veux que ce tableau noir soit blanc comme une âme d’enfant - c’est aujourd’hui que nous allons écrire ensemble, petits, la lettre A et ce qui s’ensuit…

    De l’économie falsifiée. – Ne te laisse pas contaminer, petit, je sais que c’est plus difficile à faire qu’à dire, mais je te le dis avant de tâcher de le faire en ton nom, toi qui vivras dans cet enfer, ne te laisse pas salir mais ne te détourne pas, regarde bien cette laideur et cette misère : c’est le monde, c’est le monde imbécile et gratuit des journaux imbéciles et gratuits, c’est la saleté vendue et répandue pour rien, c’est la fortune des vendus imbéciles adorateurs du Rien – c’est le monde que tu ramèneras à la vie en lui rendant son prix…

    De l’hérésie. – Tout doit disparaître, ont proclamé les Pères de l’Eglise du Tout, tout ce qui ne se soumet pas à Notre Loi qui est celle du Tout doit disparaître par l’épée ou par le feu – tout sera sacrifié sur le bûcher ou la roue, tout sera soumis à la force du Tout et vos Béatitudes vous allez voir ce que nous allons en faire, foi de nous…

    Image : Philippe Seelen. 

     

  • Pensées de l’aube (43)

    Aube41.jpg


    Du jour d’hui. – C’est vous le nouveau ? Par là s’il vous plaît, Monsieur Lundi. Vous avez le visa de transit et le certificat de bonne et due forme ? Oui, c’est cela, la semaine commence toujours bien après le lâcher-prise de vos collègues Samedi et Dimanche. Mais allez, trêve de modalités : voici votre ordre de marche pour le matin. A midi vous prenez une pose : vous avez droit au plat du jour et ensuite vous déclinez tout tranquillement selon la tradition d’un début mars au Luxembourg par temps nuageux à couvert…

    Du jour qui sera. - Le jour est bien levé et lavé maintenant. Un fond de bleus et de blancs cassés, travaillés par les années, un fond de verts et de terres à lents glacis, un fond de litanies en mineur, un fond de douleurs ravalées et d’incompréhensible gaîté tisse la page de plus qui se déploie à l’instant et nous écrit sous la neige qui se retire.

    Du cercle magique. - Dans la chambre du monde, le cercle de la mère et du père et de l’enfant seul ou nombreux forme le cercle du Jeu où le temps semble arrêté sans l’être, où rien ne semble compter alors que tout compte, et le jeu de ce matin sera de renommer les choses et de les classer par ordre d’importance, selon les seules règles du Jeu.

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (42)

    Aube66.jpg

    De l’ennui. – Vous avez déjà donné, me dites-vous lorsque je vous parle de tout ce que vous pourriez faire de tout ce temps que vous passez à maugréer en affirmant que plus rien ne vaut le coup, et c’est cela même, pauvre de vous, c’est là qu’est votre problème : ce n’est pas tant que vous n’ayez plus rien à donner, c’est que vous êtes infoutu de plus rien recevoir…

     

    De la petite mort. – Et ça veut dire quoi qu’il n’y a plus aujourd’hui de Dickens si votre cœur bat encore en vous rappelant le seul nom de la petite Dorrit, écoutez... Ah non ? Vous n’entendez rien ? Rien de rien ? Alors là c’est grave si vous n’entendez plus battre en vous le cœur de la petite Dorrit : là c’est carrément inquiétant, ça veut dire qu’en effet Dickens est mort, mais là je remarquerai au risque de vous faire de la peine : mort en vous, ce qui signifie, et là je vous présente mes condoléances, que c’est vous qui êtes pour ainsi dire mort… 

      

    Du reflet. – Tu me dis que la montagne enneigée est belle, d’une façon qui me dis ta beauté à toi, mais ça je ne te le dis pas -  d’ailleurs tout ce que tu me dis de la beauté des choses m’en dit plus sur toi que sur elles, même s’il est vrai qu’elles sont belles, et que ce que j’en dis est une autre façon de parler de toi…

     

    Image: ce qu’on voit de La Désirade à l’aube de ce dimanche 8 mars.

     

     

  • Pensées de l'aube (41)

    Aloyse.JPG 

    De ton toi. – Et là, ce matin, devant le miroir de ta salle de bain, tu regarderais ce prétendu proche prétendu familier et tu lui demanderais : et qui t’es toi ? tu te crois le proprio du miroir ou quoi ? et ce corps que tu dis à toi t’en sait quoi ? et ce que tu dis ton âme, pompier que tu es, tu la vois avec les yeux de qui, dis-moi ça ?...  

     

    De la nature. – Le tout malin (je pense par devers moi le tout mariole) affirme que nous avons soumis à jamais l’élément naturel et le voici trépigner dans sa Japonaise écolo sur la route étroite de Notre-Dame des Hauts  barrée par deux avalanches, juste sous le couloir où menace la troisième, et voilà qu’il commence à prier comme une de ces vieilles attardées dont il ricane : Mon Dieu fasse un miracle, Mon Dieu je t’en supplie, Mon Dieu pas moi ! sur quoi le prétendu Dieu lui répond pour la première et dernière fois : du balai…

     

    Des allumées. – Mais qu’ont-elles donc à la ramener, ces fichues bonnes femmes, j’veux dire : ces illuminées, Simone Weil ou Flannery O’Connor, Annie Dillard ou Charlotte Delbo, mais qu’ont-elles donc à remuer terre et ciel – ou bien encore Etty Hillesum ou l’allumée Aloyse aux yeux pleins de cieux, mais de quoi je me mêle au lieu de tricoter : sondent l’infini du camp à l’étoile, pèsent les nuées à l’écoute des déserts, se clouent aux murs et se saignent, enfin nous font plus légers que nos enfances jamais guéries, comme l’écrit Françoise Ascal dans son Carré de ciel : «Masquée sous ma vieille peau qui tant bien que mal colmate les brèches, je tente de ne rien laisser apparaître de cette honteuse anomalie : n’avoir pas su grandir »…

     

    Peinture : Aloyse, Musée de l’art brut de Lausanne.

  • Pensées de l'aube (40)

    JLK026.jpgDe la douce folie. – Et ce matin tu t’abandonnerais une fois de plus à l’étreinte de ton vrai désir qu’annonçait le conditionnel de vos enfances, tu serais tout ce que tu aimerais, tu serais une chambre merveilleuse au milieu de la neige revenue ce matin avec une quantité de téléphones, tu aurais des bottes bleues et un banjo comme à sept ans et tu retomberais amoureux pour la énième fois, elle aurait les yeux bleu pervenche de la fille du shérif de tes dix ans et des poussières et de la femme de ta vie actuelle dont tu reprendrais tout à l’heure le portrait songeur, ce serait la journée incomparable de ce 5 mars 2009, tu jouerais de ta plume verte comme d’une harpe pincée sur les cordes des heures et tout à coup les téléphones frémiraient comme autant de jeunes filles impatientes, autant de douce ondines un peu dingues se dandinant sur leur fil comme autant de choristes de gospel dans la cathédrale de neige irradiant au lever du ciel…

    Des recoins. – ce n’est que cela, comprenez-vous, ce n’est que cela qui m’attire chez vous, au milieu des rideaux grenats ou dans vos fauteuils crevés, ce sont les angles brisés à coups de marteau par le vieux Renoir endiablé, et votre lumière est bonne, votre bonne lumière de bar étudiant ou de virée le long de la rivière à quelques-uns qui aimaient Neil Young et Léo Ferré, ce ne serait que cette rêverie retrouvée de nos dix-huit ans adorablement accablés à nous aimer – leurs galas ne sont que ramas de vampires banquiers sur les banquises des médias, nous c’est dans les recoins de vos quartiers bohèmes que nous vivrons encore et encore et après notre mort au milieu de nos enfants silencieux comme des chats baudelairiens…

    De l’autre lumière. – Et toujours je reviendrai à l’œil secret de cet étang d’étain sous la lumière silencieuse de ce lever du jour qui pourrait en être le déclin, on ne sait trop, Rembrandt lui-même ne savait trop ce qu’il révélait en mâchant ses cigares - et surtout pas d’effets de théâtre, de clair-obscur ou de faux mystère, laissez venir la beauté des choses qui n’a jamais été séparée de son ombre et diffuse cette aura sans le chercher…

    Peinture JLK : Lago delle streghe, au Devero, huile sur toile, 2008.

  • Pensées de l'aube (39)

    Panopticon1237.jpg

    De la surprise. – De Dieu mais tu vois ce que je vois ce matin dans les rues de ce matin et sur les places de ce matin et aux guichets de ce matin : j’en crois pas mes yeux, non mais je me pince, et sur les arbres de ce matin, et le long du fleuve et des heures de cette matinée, t’as déjà vu tout ça toi, et là dans les snacks et les cantines, et là-bas dans  les hostos de midi et les baraques de l’asile, et l’après-midi les enfants dans les jardins municipaux, non mais dis-moi pas que t’as déjà vu ça…

     

    De la répétition. – Si les redites t’embêtent, ne cherche pas midi à quatorze heures : c’est qu’elles sont embêtantes ou que c’est de ton côté, mon pauvre toi, que ça manque de répondant vu que tu t’embêtes au lieu de chercher, justement, midi à quatorze heures en prétendant qu’il n’y a pas de miracle et que tout se répète depuis la nuit des temps, tandis que le miracle est de retrouver midi à quatorze heures et le matin en fin de soirée et ton enfance dans la nuit noire avant que toute ta vie te revienne à ta dernière heure…

     

    De l’étincelle. – C’est une question de détail voyez-vous, cela tient à presque rien, le courant passe ou ne passe pas, c’est une question d’attention, c’est cela : c’est une question d’attention qui exclut le regard en croix ou en diagonale, comme on dit, en fait il n’y a que le détail d’intéressant pour autant qu’on le rapporte à La Chose dans son ensemble, voilà ce que je voulais dire : l’important c’est La Chose, tu prends le livre, c’est La Chose, et le détail c’est l’important de La Chose...

     

    Image: Philip Seelen.

  • Pensées de l’aube (38)

    Pensées7.jpg

    De ce qu’il y a là. – Dans le rêve le vieux marcheur me demandait si j’avais bien vu tout ce qu’il y a dans son désert, il disait mon désert et il insistait: mon beau désert, puis il se reprenait : notre beau désert, j’veux dire, et pour lui faire plaisir, comme je dormais, je lui disais qu’il fallait bien ouvrir les yeux pour voir notre désert, et qu’alors on voyait un beau désert plein de choses invisibles quand on dormait les yeux ouverts – mais quel beau désert nous avons là, lui disais-je dans mon rêve, sur quoi je me réveillais et je voyais alors tout ce que nous ne voyons pas faute d’ouvrir les yeux…

    De l’inconséquence. – Tu ne peux pas dire IL FAUT ou ON DOIT sans rien faire: cela t’empêcherait de le faire que de le dire tous les matins de ton air volontaire, allons, assez de morale et de volonté: ne fais que faire mais au sens qui a du sens, allez: il faut vraiment - tu dois vraiment ne faire que faire ce que toi seul peux et dois…

    De l’obstination. – Ils se demandent ce qu’il restera d’eux et tu souris d’un air entendu en retournant à ta table et tu te dis : c’est entendu, rien ne reste de Lascaux pour ceux qui ne l’ont pas en eux et si tu n’as pas en toi le bleu qu’on n’a jamais vu, jamais tu ne le verras, et du même air entendu tu écoutes la musique en toi et souris, une fois de plus, à cet air qui te survivra…
    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (37)

    Panopticon713.jpg

    Des claires matines. – Les petites heures de la matinée à venir ruissellent de l’horloge suspendue du glacier et cela fait dans la nuit une très imperceptible musique de nuit de harpe ou de cithare ou de cymbalum dans la chambre des enfants de partout, et de petites joues se gonflent à l’unisson sur d’invisible flûtes, et de petites mains courent déjà sur le clavier de la journée à venir…

    De la forme. – Quant à la mise en forme du jour elle tient du miracle, il faut le reconnaître une fois pour toutes quitte à se répéter: les saumons ont frayé et c’est la folle première descente des torrents en toboggan dans le cumul émerveillant des rivières et des fleuves en foules jusqu’à la houle de la mer – et tu te sens ce matin la perfection du poisson de l'aube dans la main de la mer tandis que le jour revient…

    De l’éclaircie. – Il fallait tous les jours à vos mères un coin de ciel bleu pour les encourager, et vous vous gaussiez, vous les trouviez tellement simples alors que vous démêliez l’étant de l’Être du néant du Naître - vous étiez tellement intelligents qu’elles se taisaient humblement, vous étiez tellement importants, chers imbéciles dont vos mères se rappelaient juste la clairière de vos yeux d’enfants…

    Image: Philip Seelen.

  • Pensées de l'aube (36)

    Pensées5.jpgDe la déréliction. – On entend le bruit des machines, toute une rumeur dans les immeubles muets, les poumons d’acier fonctionnent, donc les centrales restent en activité, tout est sous contrôle de ce côté-là, tout baigne, les veilleuses diffusent toujours leur lueur verte, sinon pas âme qui vive à ce qu’il semble dans les immeubles sourds, qui que ce soit dans les immeubles aveugles avant qu’on ouvre les yeux pour constater qu’on est encore là…

    De la destruction. – Ce qui les intéresse est essentiellement cela : que tout s’effondre, à vrai dire ils se délectent de cet affaissement général et de cet abaissement particulier, ils l’avaient bien dit, ils se réjouissent de cet écroulement de tout alors qu’ils restent sur le bord qu’ils disent le bon bord - ils restent là purs et blancs, répétant que les enfants il suffit d’en refaire, ils l’avaient prédit : ils avaient raison vont-ils répétant, souriants, les apôtres gris…

    De la question. – Nos lettres sont restées sans réponses et vous restez muet, vous restez sourd, ou nous en concluons que vous n’avez rien reçu, vos assesseurs nous font comprendre que vous n’avez pas que ça à faire et nous conseillent de nous adresser aux guichets des services concernés, n’importe: nous sommes encore des tas de crétins à frapper à votre porte, ce matin, et nous savons que vous lorgnez par le judas, mais sans doute sommes-nous indignes de votre regard et même de votre silence, et nous restons-là tout pantelants, mendiants de Dieu sait quoi…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (35)

    Ange.jpg

    A ma bonne amie

    De l’innocence. - Le mot DANSE m’apparaît ce matin, et tous les mots se mettent à danser avec l’enfant, petite, toute nue et belle dans un long foulard de soie flottant autour d’elle, là-bas sur le haut gazon de la maison de vacances comme suspendue au-dessus des mélèzes, dans l’air frais et bleuté des glaciers, toute seule à danser pour la première fois comme elle a vu, l’autre soir à la télé, l’immatérielle Isadora dans un film d’un autre temps, qui dansait et dansait en ne cessant de danser et danser...

    Du respect. – Peut-être cela vous manque-t-il seulement, dans le déni de ce que vous faites ou la simple inattention, de ne pas pouvoir partager, non pas l’estime de votre petite personne, mais l’amour de la personne innombrable dont ce que vous faites n’est qu’un des innombrables reflets, mais unique…

    De notre complicité. – À peine vous êtes-vous retrouvés, les oiseaux et toi qui leur parles ta langue de fée, que retentissent leurs cris froids de calculateurs de points et de résultats réduisant tout à concours et performances du plus fort et du plus vite enrichi, mais de te regarder avec les oiseaux m’éloigne chaque jour un peu de leur bruit et nous voici dans la vraie société des êtres à nous parler de cette journée qui nous attend tous les deux…

     

     

  • Pensées de l'aube (34)

    Panopticon122.jpg
    De la réalité. – C’est parfois par le rêve que nous vient la perception physique, terrifiante, de la réalité : de ce qui est réellement réel, sans échappatoire aucune, à ramper dans cette galerie obscure menant Dieu sait où – et soudain le réveil sonne et c’est la nuit d’hiver, et personne, on dirait, avant que l’odeur du café ne dissipe la réalité du rêve…

    De l’autre côté du jour. – Tout le jour à chanter le jour tu en es venu à oublier l’envers du jour, la peine du jour et la pauvreté du jour, la faiblesse du jour et le sentiment d’abandon que ressent la nuit du jour, le terrible silence du jour au milieu des bruyants, la terrible solitude des oubliés du jour et des humiliés, des offensés au milieu des ténèbres du jour…

    De l’avidité. – Et tout le jour le jeune homme en toi, la jeune fille Violaine en toi, l’Idiot en toi, Antigone et Mouchette en toi, et le plus lointain, vacillant, fragile, minable reflet en toi du Dieu vivant te retiendront d’assouvir cette faim de rien qui s’affame de sa propre faim…

    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (32)

    Aube27.jpg


    D’un autre chant. – Et si tu n’as pas de mots pour dire cette aube qu’il fait ce matin comme au désert ou sur la page blanche de la mer, chante-là en silence, tout à l’heure une main de lumière s’est posée à la crête des monts et tout ensuite, de l’ubac, une maison après l’autre, s’est allumé, mais comment le dire avec des mots ?

    De la juste mesure. – Ce que tu te demandes aussi en voyant le rideau se lever sur la scène du jour, c’est quelle pièce va se jouer dans les heures qui viennent, qui tu seras, dans quelle peau ? quel autre rôle tu pourrais jouer ? si tu pouvais être plus juste qu’hier soir après avoir goûté une fois de plus du Milk of Human Kindness du Big Will - trois heures durant, Mesure pour mesure, la poésie du Big Will t’a traversé et t’habite encore ce matin, or seras-tu ce matin l’intransigeance d’Angelo le taliban ou la clémence du bon gouvernement, seras-tu la vierge ou la catin, seras-tu glapissement de mauvaise langue ou parole de bienveillance ?

    Des matinaux. – Le silence scandé par leurs pas n’en finit pas de me ramener à toi, vieille frangine humanité, impure et puante juste rafraîchie avant l’aube dans les éviers et les fontaines, tes matinales humeurs de massacre, ta rage silencieuse contre les cons de patrons et tes première vannes au zinc, tout ton allant courageux revenant comme à nos aïeux dans le bleu du froid des hivers plus long que de nos jours, tout ce trépignement des rues matinales me ramène à toi, vieux frère humain…
    Image: à l'aube de ce 25 février 2009, à la fenêtre de La Désirade.

  • Pensées de l'aube (31)

    Panopticon1134.jpgDe l’offrande. – La lumière rasante te découvre des plaines et des pays très doux dès l’éveil dont rien ne te rase, jamais l’aube ne fait la gueule : il n’y a que vous et vos jérémiades à tous, vous les nombrileux et les angoissés qui recevez si mal ce qui vous est donné - et tu es du nombre dès que tu reviens au miroir alors que tout se passe à la fenêtre, nom de Dieu : regarde…

    De cette étincelle. – Du lièvre blanc qui bondit dans la neige et franchit d’un bond les barbelés admire la grâce maîtrisée de l’aviateur acrobate au-dessus des lignes à haute tension, même si ni lui ni toi moins encore ne savez ce que vous cherchez sous les grands baldaquins de givre, ni pourquoi cette beauté vous électrise…

    De la contemplation. – En marchant tout seul dans la nature tu la sens marcher toute avec toi, tu la respires en respirant, tu en détailles tous les âges aux veines des pierres et des troncs et tes âges revivent dans sa vieille mémoire matinale, tu ne sais ce qui est ce matin le plus éternel de la voix de ta mère au coucher ou du premier chant du merle…

    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (30)

    Pensées4.jpg

    De la pauvreté. - Elles ont une nuit d’avance, ce matin comme les autres, donc c’est hier matin qu’elles dansaient le soir devant leur masure, toute grâce et gaîté, leur dure tâche achevée, les deux femmes, la jeune et la vieille, de ce haut plateau perdu du Zanskar où leur chant disait le bonheur parfait d’avoir tout…

    De l’abjection – Pour plaire et se complaire dans son illusion d’être si bon il tire des traites sur la douleur du monde et cela fera, se dit-il, vendre ses livres - tel étant le démon de l’époque et qui grouille de vers aux minois d’innocence, c’est le péché des péchés que cette usure de la pitié feinte et de cela dès l’éveil, petit, refuse d’être contaminé…

    De la sérénité. – À l’immédiate hystérie des médias relancés avant le lever du jour tu résistes en ouvrant grande la fenêtre à l’air et à la neige de ce matin qui ne fondra pas moins que leur pactole mais tout tranquillement, en lâchant ses eaux comme pour une naissance sans convulsions, et le printemps reviendra, et les gens ce matin continuent de faire leur métier de vivre dont personne ne s’inquiète – alors toi, maintenant, referme la fenêtre au froid…

    Image: Philip Seelen.

  • Pensées de l’aube (29)

    Flora03.JPG
    À Pierre-Alain Tâche

    Du retour. – Il fit tellement nuit cette nuit-là, tellement froid et tellement seul que l’éveil leur fut comme un rivage qu’ils atteignirent à genoux, puis il fallut se lever et ils se levèrent, il fallut paraître dans les villages et les villes et sourire, parler, travailler avec tous ceux-là qui s’étaient trouvés tellement seuls dans le froid de cette nuit-là…

    De la purification. – Le mot aliénation, du mot aliéné, évoquant la maison où l’on tourne en rond en gesticulant à cris terribles, t’était resté de la fin de soirée au zapping halluciné par tant d’imbécillité laide partout, et ce matin tu te purifies la mémoire dans l’eau froide de la fenêtre ouverte de cette page de poésie : « Vallée offerte comme un livre En elle je m’inscris, dans les failles du jour : la montagne y respire au revers de mes mots »…

    De l’apaisement. – A présent laisse-toi faire par la vie, lâche prise le temps d’un jour en ne cessant de tenir au jour qui va, ne laisse pas les bruyants entamer ta confiance, ne laisse pas les violents entacher ta douceur, confiance petit, l’eau courante sait où elle va et c’est à sa source que tu te fies en suivant son cours…

    Image : L’Armanet, huile sur panneau de Floristella Stephani. La citation est de Vallée, poème du dernier recueil de Pierre Alain Tâche, Forêt jurée, paru chez Empreintes en janvier 2009.

  • Pensées de l'aube (28)

    Pensées5.jpg
    De ce chant. - Le mot LUMIÈRE ainsi me revient à chaque aube avec le souvenir de toujours du chant du merle, alors même qu’à l’instant il fait nuit noire et que c’est l’hiver, et plus tard je retrouverai la lumière de ce chant dans celui de Jean-Sébastien Bach, mais à présent tout se tait dans cette chambre obscure où me reviennent les images et les mots que précèdent les lueurs et les odeurs…


    De ces oasis. - Le mot CLAIRIÈRE me revient avec la neige de ce matin, qui éclaire la nuit d’une clarté préludant au jour et dont la seule sonorité est annonciatrice de soulagement et de bienfait, la neige est une clairière dans la nuit, de même que la nuit est une clairière dans le bruit…

    De ce qu’on voit. - Une fois de plus, à l’instant, voici l’émouvante beauté du lever du jour, l’émouvante beauté d’une aube d’hiver bleu pervenche, l’émouvante beauté des gens le matin, l’émouvante beauté d’une pensée douce flottant comme un nuage immobile absolument sur le lac bleu neigeux, l’émouvante beauté de ce que ne voit pas l’aveugle ce matin, les yeux ouverts sur son secret...

    Image: Philippe Seelen

  • Pensées de l'aube (27)

    PanopticonRH5.jpg

    De la tentation. – Il n’y aurait plus rien, rien ne vaudrait plus la peine, tout serait trop gâté et gâché, tout serait trop lourd, tout serait tombé trop bas, tout serait trop encombré, on chercherait Quelqu’un mais personne, on regarderait autour de soi mais personne que la foule, on dirait encore quelque chose mais pas un écho, on se tairait alors, on se tairait tout à fait, on ferait le vide, on ferait le vide complet et c’est alors, seulement - seulement alors…

    De la grâce. – Cela reviendra ou pas, cela te viendra ou pas, cela te sera donné ou pas, cela montera de toi ou cela te fondra dessus ou pas, cela te pèse de savoir que c’est le contraire du poids mais qu’en sais-tu ? Que sais-tu de ça ? Comment pourrais-tu même en parler ? Et comment le reconnaître si c’est là ? Et ce serait cette enfance ? Ce serait cette présence ? Ce serait cette légèreté - ce ne serait que ça ?

    Du premier geste. – Tes outils seraient là et tu les verrais en ouvrant les yeux, tu les verrais et ce serait comme si c’était eux qui te regardaient, ce matin sans espoir – pensais-tu, ce dernier matin du monde – pensais-tu, ce matin du dernier des derniers qui aurait perdu jusqu’à son ombre, tes outils seraient encore là et leur désir te reviendrait…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (26)

    Panopticon657.jpg
    Pour Damien

    Du métier des mots. – Les mots te savent, ce matin un peu plus qu’hier et c’est cela, le temps, je crois, ce n’est que cela : c’est ce qu’ils feront de toi ces heures qui viennent, c’est le temps qui t’est imparti et que tu vas travailler, petit paysan de la nuit, les mots sont derrière la porte de ce matin d’hiver et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à écrire, petit instit de nos régions éloignées, les mots ont confiance en toi, laisse-les te confier au jour…

    De la résurgence. – Tu me dis que les sarments sous la neige, les pieds de vigne alignés en bon ordre le long de la pente enneigée, tu me dis que cela t’évoque la mort, et tu me racontes, alors, tu me racontes tes soirs, là-bas, à la tombée de la nuit, quand la lumière s’en allait et que tu revenais par les anciens jardins, à travers cette odeur, et qu’ils t’apparaissaient dans la pénombre, les bras dressés des morts déterrés par les chiens, tu me racontes cela en souriant de ce sourire de ceux qui n’ont pas oublié, et nous nous taisons alors en songeant à Kigali sous la neige et à ses morts alignés en bon ordre…

    De l’incompréhensible. – On me dit ce matin encore que tout obéit à la volonté de Dieu, ces corps en plaies, ces corps ratés de naissance, ces corps ne portant même pas leurs têtes et ces têtes te regardant d’en bas, on arrive dans l’Institution par de longs couloirs sans yeux, le nouveau jour est lancé et c’est reparti pour les râles voulus par Dieu: ce sera la même folie et le même chaos insensé, louée soit ta Création Seigneur Très Bon, on me dit ce matin encore que tu bénis ces corps sans croix pour les porter – et je reste sans voix…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (25)

    Pensées3.jpg

     

    Du pays lointain. – Tous ils semblent l’avoir oublié, ou peut-être que non, au fond, puisque tous les matins il t’en revient des voix, et de plus en plus claires on dirait, des voix anciennes, autour des fontaines ou au fond des bois, des voix qui allaient et revenaient, déjà, dans les vallées repliées de la mémoire de tous te rappelant d’autres histoires, et revenant chaque matin de ces pays au tien tu le vois bien, que tu n’es pas seul ni loin de tous…    

     

    Du premier ciel. – Ce sommeil de la neige n’a rien effacé, c’est juste un repos momentané, d’ailleurs nous restons là pour veiller sur la mémoire de ce qui reviendra, nous allons et venons entre les oubliés et ceux qui sèmeront nos cendres dans le premier jardin où nous sommes tombés, les bras ouverts et les yeux levés…

     

    De l’évidence. – Tout nous échappe de plus en plus et de moins en moins, tout est plus clair d’approcher le mystère, tout est plus beau d’apparaître pour la dernière fois peut-être – tu te dis parfois qu’il ne reste de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses te reviennent avec leur murmure d’eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin et du  soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque lever du jour…   

     

    Image: Philip Seelen   

  • Pensées de l’aube (24)

    Panopticon512.jpgDe la destinée. – Elle s’en ira vieille fille, comme on dit, sans qu’on se doute qu’elle fut amoureuse toute sa vie, de nombreux messieurs en secret cela va sans dire, mais aussi de monuments, surtout en Italie, et des enfants de ses parents et amis qui lui ont appris qu’elle-même ne saurait jamais grandir, bonne du moins à border tous les soirs ses poupées en priant le Fiancé de la prendre, elle, par la main jusqu’au jour…

    Du fil des heures. – Du matin à la matinée, tout le temps qu’on vit cette montée elle me donne son énergie et me révèle l’air de nouveauté de ce qui vient, son air de jamais vu, son air d’enfant dispos et curieux de tout, et passé le milieu de la journée la vieille vérité des choses fait décliner le matin fée pour se couler dans les heures sans heures de la mélancolie…

    De la musique des jours. – Et s’ils entendaient encore, ce matin, qu’en savons-nous après tout ? s’ils entendaient encore cette polyphonie des matinées qu’ils nous ont fait écouter à travers les années, s’ils entendaient ces voix qui nous restent d’eux, ce matin encore je les entends par les rues vibrantes d’appels et de répons: repasse le vitrier sous nos fenêtres, il y a bien du temps de ça mais je l’entends encore et les filles sourient aux sifflets des ouvriers - et si leurs tombes restaient ouvertes aux mélodies ?
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (23)

    Panopticon7771.jpg

    Des petits souliers. – On dirait qu’il fait nuit depuis toujours dans la neige qui fait une espèce de jour dans la nuit, rien n’a changé depuis qu’il faisait froid dans vos chambres d’enfants, mais alors des voix vous encadraient, comme des voix de bergers autour des troupeaux, et bientôt vous étiez chaussés, de toutes les maisons du quartier s’en allaient les petits souliers ferrés sur la glace des chemins, par les routes ensuite vous vous pressiez comme des nains transis mais jusqu’au souvenir de cette morsure de l’hiver vous réchauffe l'âme…

    De cette boule. – Tous les matins, maintenant, et ce sera comme ça jusqu’à la fin, sûrement : cette boule qui était au ciel jusque-là, ou tout au fond de la terre, est entrée en toi et te pèse de tout le poids du monde - et tu n’as qu’un chant pour t’en délivrer…

    De l’embarquement. – Et tout à l’heure le monde remontera aux fenêtres, ou bien ce seront les fenêtres de la ville qui remonteront aux tiennes, il y aura des montagnes enneigées ou des silhouettes affairées, ce sera selon, des fenêtres de cet hôpital on ne voit que le ciel, de cet autre que la mer ou des murs, le monde affleure partout, on est dedans, on est embarqué : Terre à l’horizon…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (22)

    Panopticon1775.jpg

    Pour Bona Mangangu

    De l’ancien feu. – Bien avant votre naissance ils le portaient de maison en maison, le premier levé en portait le brasero par les villages et les hameaux, de foyer en foyer, tous le recevaient, ceux qu’on aimait et ceux qu’on n’aimait pas, la vie passait avec la guerre dans le temps

    Du passé. – Tu n’as aucun regret, ce qui te reste de meilleur n’est pas du passé, ce qui te fait vivre est ce qui vit en toi de ce passé qui ne passera jamais tant que tu vivras, et quand vous ne vivrez plus vos enfants se rappelleront peut-être ce peu de vous qui fut tout votre présent, ce feu de vous qui les éclaire peut-être à présent…

    De l’avenir radieux. – Au lieu de jeter les mots usés tu les réparerais comme d’anciens objets qui te sembleraient pouvoir servir encore, tu te dirais en pensant aux enfants qu’il est encore des lendemains qui chantent, tu te dirais en pensant aux mal barrés qu’il est encore des jours meilleurs, tu ramasserais vos jouets brisés et tu te dirais, en te rappelant ce que disaient tes aïeux: que ça peut encore servir, et tu retournerais à ton atelier et le verbe rafistoler te reviendrait, et le mot te rappellerait le chant du rétameur italien qu’il y avait à côté de chez vous, et tout un monde te reviendrait avec ce chant – tout un monde à rafistoler…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (21)

    Panopticon729.jpg

    Du renouveau. – Le silence des choses ce matin peut être dit néant ou prière, celui qui ouvre les yeux et parle en décide, mais qui sait si elles sont moins seules d’être nommées par lui ou si c’est lui qui se console ainsi de sa solitude – qu’importe à vrai dire si c’est dit et qu’à l’instant les choses reviennent au jour et que tu dis ce qu’elles ont ce matin à dire d’inouï - tout cela était en toi déjà mais tout a bougé cette nuit et le silence des choses aurait ce matin la voix du jamais entendu…

    Des éteignoirs. – Tout a été dit, t’assènent-ils pour mieux te neutraliser, toi qui demandes à vivre encore, à recevoir encore, à recevoir et à donner quand ils n’ont plus rien, eux, à recevoir et plus rien à montrer que le déjà-vu, car tout est achevé selon eux, tout est accompli, c’est à croire qu’ils sont déjà morts et pour ainsi dire ressuscités, tout étant dit ils n’ont plus rien à entendre de la vie et n’attendent plus rien de toi non plus – détourne-toi, petit, de ces mauvais apôtres.

    Du fil des jours. – Et tout est à recommencer tous les jours, c’est accablant quelques instants, le temps de te retrouver au point zéro : tu crains d’avoir perdu le fil, mais non, le voici, et avec lui que tu reprends entre les dents tout se retrouve lié, tout se remet à bouger ensemble, du cendrier à l’étoile, tout te revient, toutes les saveurs goûtées et à goûter encore, toutes les odeurs des années passées et attendues encore, toutes les pensées affleurant le jour blanc ce matin encore…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (20)

    Neige335.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      De l’enchaînement. – On n’attend plus rien d’eux que l’efficace et la compétence machinale, et c’est une façon de les tuer, au moins de leur dénier toute présence réelle et tout droit à surprendre, on les a sélectionnés, leur dit-on, pour gagner, et désormais ils seront formés à se formater et plus rien d’autre ne saurait être attendu d’eux que d’être au format

    De l’extinction. – Sur le plateau de télé on les voit se lamenter de ce que la Création soit en voie de disparition, il n’y a plus de créateurs à les en croire, plus rien de créatif ne se crée, la créativité tend au point mort geignent-ils en se confortant d’avoir connu d’autres temps où chacun était un virtuel Rimbaud, et désormais on les sent aux aguets, impatients de voir tout s’effondrer en effet comme ils se sont effondrés…

    Du bois joli. – De ta nuit à la mienne, de mon éveil au tien, de sa façon de résister à la leur, de votre attente à la nôtre, de leur impatience à la sienne, de leur besoin d’aimer ou d’être aimé à la vôtre, de ma gratitude à la lecture de son dernier roman à ce que je sais qu’il me répondrait si je le lui écrivais, de notre conviction de n’être pas seuls à ressentir tout ça à l’évidence que tout ça nous survivra, de nos questions à vos réponses et de vos mots aux nôtres : il court il court le furet…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (19)

     

    Flora03.JPGDe la fantaisie. – Cela danse en toi, on dirait presque : avant toi, comme l’avant-toit de ton abri de cabri, avant que tu ne renfiles tes bottes de sept lieues de géant infime et doublement infirme de l’antenne et du sabot – cela vient te chercher comme à la fête, cela n’a ni queue ni tête mais  dès le saut de carpe du lit cela frétille et sautille à hauteur d’écoutille sous le vent galopant du matin galopin – au vrai c’est aussi bête que ça…

    De l’évolution. – Encore et encore ton corps se souvient de l’en-deça des mots et des anciens tâtons dans la conque remuant en sourdine, mais voici que ton maillot d’indolence se défait et que te reprend ce monologue un peu vaseux de la conscience, alors tu redeviens l’enfant des hauts-fonds qui remonte au jour en maugréant, il te semble avoir bientôt des nageoires, enfin tu entends ta mère ouvrir les contrevents et voilà que les mots t’ont rattrapé…

    De ce qui s’offre là. – Ils se lamentent d’avoir trop peu ou d’avoir trop sans rien voir de ce qu’ils ont là, sous les yeux, dans la foison radieuse de cela simplement qui afflue dans la lumière du matin - alors tout reflue de l’ennui de n’être pas, je reviens au jour et tu es là ma généreuse, tu m’attendais, je t’avais oubliée et te voilà, ma vie qui va…

    Image: Floristella Stephani, Aube sur le Catogne. Huile sur toile. P.P. 

  • Pensées de l'aube (18)

     Aube37.jpg

     

    De ce qui reste. - Des restes de berceuses nous restent de l’autre côté du sommeil et ce reste d’enfance nous berce aux matins gourds comme les mains d’enfants de l’hiver, et sur nos fronts le reste d’un souvenir de caresse nous reste comme la douce promesse de bien dormir à l’enfant qu’on berce.

     

    Du fil des mots. – Dès le premier jour le sablier t’a rempli de ces mots qui filent dans le silence et se tissent sur l’invisible trame du sommeil et de la veille et que tu ne dis qu’au débouché des nuits que le jour murmure et le tissage devient visage, tantôt village et tantôt nuage tissé de ciel et d’orages ou d’accalmies ou de pluies acides ou de plaines de limpide lumière – toute une vie tissée et le dernier jour n’aura pas le dernier mot…

     

    De la musique. – Tu es l’âme de mon âme, lui dit-il sans savoir qui elle est, tu m’es plus intime à moi-même que moi, tu me connais par cœur, comme une chanson dont tu ajouterais tous les jours un couplet que je serais seul pourtant à pouvoir fredonner, à chaque aube je te retrouve enfin, mélodie et refrain…     

     

    Image: Philip Seelen, aube à La Désirade.

  • Pensées de l'aube (17)

    DEVERO47.JPGDe ce qui se cherche. – Les mots sont comme cette lampe de poche le matin dans le bûcher, les mots éclairent les bouts de bois dont on se chauffera, les mots font mieux voir et les mots réchauffent à la fois : voilà ce que je me dis ce matin à l’instant de me mettre à bûcher à la chaude lumière de ces premiers mots…

    De ce qui ne se dit pas. – On dit tare pour barre et ça en dit plus long qu’on croit, se dit-on, comme le dicton : Trop tard pour le bar, trop tôt pour le mot - si tôt que la moto emporte, les yeux fermés, le motard.

    De ce qui se dit. – Tu ne sais d’où ça vient et ça ne te regarde pas : ça ne regarde que la nuit et encore, les yeux clos, ça ne parle qu’à bouche cousue, ça vient comme ça sans crier gare sur le quai de la nuit qui remue, voyageur sans bagage qui ne sait que ce qu'il dit…

    Image: au Devero tôt l'aube, photo JLK.